EN COTE D’IVOIRE, LA DIFFICILE PRISE EN CHARGE DES SENIORS
Leur nombre pourrait tripler d’ici à 2050. Traditionnellement entourés par leur famille, les aînés se retrouvent de plus en plus isolés et les structures d’aide peinent encore à émerger et à se faire accepter.
Nichée dans une ruelle endormie de Bingerville, un quartier excentré d’Abidjan, la bâtisse respire la quiétude. C’est précisément sa vocation : ouverte en juillet 2023, la Maison de repos accueille des personnes âgées convalescentes, devenues dépendantes et dont l’entourage ne parvient plus à s’occuper. L’établissement privé compte sept chambres et autant de résidents. Une première en Côte d’Ivoire, où la prise en charge des aînés est généralement assurée par les familles, mais où l’évolution des modes de vie bouleverse les équilibres traditionnels.
Plutôt qu’une maison de retraite, « nous sommes un lieu de convalescence, de transition », rectifie Arlette Monney, refusant la comparaison avec les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en France. « Les gens vivent ici en communauté », insiste la cogérante. Ils restent une journée, deux semaines, trois mois, se rétablissent puis rentrent chez eux. Les séjours sont « à la carte », tout comme les degrés de prise en charge, qui varient selon les besoins.
Jean-Pierre est ici pour un mois, peut-être plus. Le temps de reprendre pied après un accident vasculaire cérébral (AVC). Visage apaisé tourné vers la télévision du salon, le sexagénaire occupe l’une des sept chambres de la maison. Ses repas sont élaborés par un nutritionniste avant d’être servis par l’une des six aides-soignantes ou auxiliaires de vie qui l’assistent au quotidien. Pour une pension complète comprenant quelques sorties et les visites d’un gériatre et d’un psychologue si besoin, la famille débourse 750 000 francs CFA pour un mois (1 143 euros), l’équivalent de dix fois le salaire minimum ivoirien.
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Mue démographique
En listant tous les services inclus et les frais associés, Arlette Monney tente de relativiser ces tarifs, alors que sa structure est régulièrement attaquée sur les réseaux sociaux, soupçonnée de faire du business sur le dos des aînés et de les maltraiter. Des accusations alimentées par les pratiques scandaleuses révélées en France avec l’affaire Orpea en 2022. Les gérants de la Maison de repos se défendent en assurant faire, pour le moment, « davantage du bénévolat qu’une activité lucrative ». « Nous ne recevons aucune aide de l’Etat, souligne Andrée Zougo, sa cofondatrice. Si vous n’êtes pas une ONG, on ne vous donne pas de moyens. »
En 2021, le gouvernement ivoirien a lancé un programme d’aide financière et médicale auprès de quelque 200 000 séniors vulnérables. Un « Centre ami des aînés » a même vu le jour à Abidjan, qui propose une prise en charge médicale aux plus nécessiteux. Deux ans auparavant, l’Etat a créé la couverture maladie universelle (CMU). Ce système contributif, financé par les assurés à hauteur de 1 000 francs CFA par mois, prend partiellement en charge les consultations, les frais d’hospitalisation et certains médicaments lorsqu’ils sont disponibles. En 2022, seulement 12 % de la population était couverte selon la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).
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« De gros efforts ont été faits, mais le système de protection sociale reste vraiment embryonnaire et insuffisant pour les personnes âgées, qui ont souvent besoin de traitements importants », souligne la démographe Rosine Mosso. Le nombre d’Ivoiriens de plus de 60 ans, aujourd’hui estimé à 1,2 million, pourrait tripler d’ici à 2050. Avec la baisse de la natalité (4,4 enfants par femme en 2020, contre 5,8 il y a vingt ans) et une espérance de vie en légère hausse (57 ans), le pays fait sa mue démographique. Mais pour l’heure, « l’Afrique n’a pas anticipé la question du grand âge », observe Andrée Zougo.
« Perçus comme des sorciers »
Le problème est autant économique que socioculturel. La question de la prise en charge des séniors est liée à l’évolution du schéma familial, alors que le ménage mononucléaire se substitue au modèle intergénérationnel, au détriment des anciens. A la campagne, ces derniers comptent de plus en plus sur l’assistance du voisinage. En ville, « ils vivent de plus en plus seuls », constate la démographe. Leurs enfants n’ont pas toujours le temps, les moyens ou l’énergie de s’occuper d’eux.
« Un aîné que je connais a récemment été hospitalisé. Tous ses enfants sont à l’étranger sauf l’une de ses filles. Et c’est très compliqué pour elle d’assumer seule la responsabilité de son père », rapporte Félix Taubin, membre de l’association Help Elders. L’exemple n’est pas isolé et concerne de plus en plus de familles, tiraillées entre le devoir filial et les nouveaux modes de vie. Parfois, la situation va au-delà de la simple négligence. Lors de visites à domicile, Arlette Monney a déjà découvert des parents grabataires « délaissés, en manque d’affection et parfois maltraités ». Certains d’entre eux sont stigmatisés, « perçus comme des sorciers du fait de leur âge avancé », se désole-t-elle.
Pour autant, la création de maison de retraites suscite toujours des réticences dans le pays. Beaucoup pensent encore que les structures d’aides comme la Maison pour tous mettent à mal le modèle familial. Une méfiance qui ne décourage pas Andrée Zougo. En plus du centre de Bingerville, elle projette d’en construire d’autres « dans chaque commune d’Abidjan et dans les cinq plus grandes ville du pays ».
Source lemonde.fr
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